Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/50

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En effet, les deux combattants, tombés carrément en garde l’un devant l’autre, s’escrimaient avec une adresse vraiment merveilleuse.

Enfin, après des passes et des volte-face nombreuses, fort savantes, et qui furent vivement applaudies par le public, Espada fils reçut un coup de couteau dans l’épaule. Le combat cessa aussitôt.

— Misérable ! s’écria le moine en apostrophant avec fureur le vaincu, c’est ainsi que tu abuses de ma confiance… que tu me fais perdre dix piastres ! Éloigne-toi de ma vue, fanfaron sans courage et sans adresse… La mort de ton digne père Espada a été un bienfait public… J’espère te voir, toi aussi, un de ces jours, danser au bout de la corde d’une potence…

Quant à l’adversaire de l’infortuné Espada, fier de son triomphe, il fit le tour de la galerie formée par les spectateurs, en présentant son chapeau. Tous ceux qui avaient parié pour lui y mirent quelques réaux.

Ce combat, dont la vue, que l’on me pardonne cet aveu en songeant quels affreux coquins étaient en présence, m’avait beaucoup diverti, terminé, je rappelai à mon matelot que nous comptions déjeuner ; mais Kernau, l’air surpris et absorbé, regardait le moine franciscain avec une telle attention qu’il ne m’entendit même pas. Je fus obligé de le secouer rudement par le bras pour lui rappeler ma présence.

- Que diable considères-tu donc avec tes yeux fixes et ouverts tout grands comme des sabords ? lui demandai-je. Ce moine ? Eh bien, qu’est-ce qu’il a de remarquable ? Il est fort gras, peu propre, semble assez hypocrite, et fume un cigare qui paraît assez bon. Tout cela est-il donc tellement curieux qu’il nous faille rester plantés comme des piquets au beau milieu de la rue, tandis que nos