Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/51

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estomacs crient la faim ?… Allons chez ton hôtesse…

— Oui, tout de suite, vieux… Seulement, si tu savais quelle drôle de ressemblance présente ce moine avec… Ah ! parbleu, mille noms de noms ! je ne me trompe pas… je recon­nais cette grimace… c’est bien lui… attends-moi un peu.

Mon matelot, en parlant ainsi, s’élança vers le franciscain, qui, après avoir payé ses dix piastres de pari, en accompagnant chacune d’elles d’un gros soupir, se disposait à continuer son chemin, et le saisit par la manche de sa robe. Je me hâtai de rejoindre mon matelot.

Le quelque peu de portugais que j’avais appris pendant mon séjour à bord de la prise l’Elcinger, uni au latin que je savais assez imparfaitement, au reste, me permit, sinon de comprendre bien exactement le dialogue qui s’établit entre le frère la Côte et le moine, du moins d’en saisir le sens.

Kernau, que le moine, au premier abord, avait affecté de ne pas connaître, demandait à ce dernier par suite de quelle étrange idée il avait quitté la marine pour le couvent, et celui-ci répondait qu’une vocation irrésistible, longtemps comprimée, mais toujours vivante dans son cœur, l’avait conduit à se mettre franciscain.

— Vois-tu ce gredin, me dit Kernau en français et en me désignant le moine, il y a à cette heure près de cinq ans qu’il a voulu me plonger son couteau dans le cœur… Une histoire de sentiment, que je te raconterai un de ces jours. Il se nommait alors Perez, et servait comme matelot sur un brick, fin voilier, qui faisait, disait-on, du commerce avec l’Archipel… Quel commerce ? Ça se devine… Heureusement qu’il manqua son coup…

— Et toi, que lui fis-tu ?

— Moi, généreux et Breton, je me contentai de lui