Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/55

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— À présent, mère Encarnacion, lui dit le frère la Côte en se versant, en guise de grog, une demi-bouteille d’eau-de-vie dans un bol à café, dégoise-nous tes malheurs, ça nous distraira.

— Hélas ! seigneur, le récit en sera bientôt fait… Il y a de l’autre côté de la baie, à Manille, un très riche négociant que la beauté de Gloria avait séduit, car vous saurez que ma chère fille est bien certes la plus jolie fille de Cavit, et qui devait venir la chercher ces jours-ci… C’était convenu entre nous depuis longtemps…

— Qu’est-ce qui était convenu, la vieille ? interrompit Kernau. Ah ! bête que je suis, de t’adresser une question aussi saugrenue, continua mon matelot en haussant les épaules. C’était convenu… Après ?

— Ce très riche négociant est bien l’homme le plus généreux qu’il soit possible de trouver. Il devait faire repeindre à neuf la façade de ma maison, faire restaurer mon escalier, me donner deux barriques d’eau-de-vie de Catalan, et m’ouvrir, sans intérêt, un crédit de mille piastres sur sa maison… Jugez comme tout cela eût rendu ma jolie Gloria heureuse !… Vous m’observerez qu’il m’eût fallu me séparer d’elle… Hélas, cela m’eût été bien douloureux et pénible ; mais, après tout, n’est-ce pas un devoir pour de bons parents de savoir se sacrifier au bonheur de leurs enfants ?… J’étais donc résolue… lorsque ce matin j’ai vu des officiers entraînant Gloria de force, la contraindre à monter dans une voiture qui les attendait, et disparaître bientôt de mes yeux.

— Et malgré mes cris, dit le moine Perez en achevant le récit de notre hôtesse.

— Cette fois-ci est-elle la première que l’on ait enlevé ta fille ? demanda Kernau en s’adressant à la señora Encarnacion.

— Certainement, seigneurie.