Page:Garneray - Voyages (Lebègue 1851).djvu/64

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— Comment se fait-il, alors, que je l’aie vu couché ensan­glanté à tes pieds ?

— Dame ! je l’ignore : faut croire cependant que je lui aurai donné, sans y faire attention un coup de poing quelque part ! Eh bien ! trouves-tu que je t’avais blagué en te parlant des agréments de Cavit, vieux ?… Nous sommes-nous déjà amusés ! À peine débarqués, tout de suite des plaisirs… Mais tout ça, c’est rien du tout, de la Saint-Jean !… Tu verras par la suite, tu verras que de bon temps nous aurons !

Le reste de la journée mon matelot m’adressa à peine la parole : pensif et réfléchi, il me parut absorbé par quelque haute combinaison : je me figurai qu’il ruminait le moyen d’assiéger Cavit, et je respectai son silence. La nuit venue, je me trouvais de quart avec lui, lorsque s’approchant de moi :

— Je suis désorienté, vieux, me dit-il d’un air contraint et embarrassé.

— Qu’as-tu donc, matelot ?

— Tu vas me reprocher d’être un pas grand-chose, surtout pour un frère la Côte !… Que veux-tu que j’y fasse ? c’est pas ma faute… Puisque ça y est, je ne puis pas empê­cher que ça y soit, pas vrai ? Cette petite de tantôt m’a complètement mis le grappin dessus. Faudra que je la retrouve. À présent, plus un mot là-dessus, Louis, ça me chiffonnerait.

Le lendemain, Kernau, qui avait été à terre, ne revint pas à bord. Dans la soirée, on m’apporta une lettre qu’il me faisait écrire, et dans laquelle il m’apprenait que la jeune fille de la veille n’était autre que Gloria, l’enfant de la señora Encarnacion ; que Perez était le coupable, et que lui, Kernau, se sentait si épris, qu’il avait résolu de filer son câble ou de déserter sans me revoir, de peur de