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antenolle.

Mais suffit !… tu verras, mon garçon. Je ne te dis que ça, tu verras !

Dès le jour même, on disposa la Blanchette pour recevoir deux cent cinquante noirs. Le navire fut réparé, les gamelles et les baquets furent confectionnés, le charnier à eau et la grande marmite furent installés, une nouvelle couche de noir fut passée sur la coque, on ensevelit le pont sous un énorme tôt, on haussa le faux pont et la rambade, enfin on plaça en batterie douze canons… dont deux seulement étaient véritables.

Pendant que ces travaux s’exécutaient à bord, notre capitaine faisait marché avec le gouverneur. Celui-ci reçut un pot de vin de 2,600 francs en sus des 22 francs d’impôt qu’il percevait par tête de nègre embarqué. Mais le père Tranche-liard comptait sur la contrebande pour esquiver ce dernier impôt. D’un autre côté, le gouverneur, qui se méfiait de lui, avait exigé que toutes nos embarcations lui fussent remises sauf une seule, indispensable au service du bord. Le capitaine s’en moquait bien ; il avait pris ses précautions.

Dès que les acquisitions furent en train, les douaniers escortèrent à bord les noirs inscrits et déclarés, les firent embarquer devant eux, puis montaient derrière eux ; comme cette opération se faisait toujours au coucher du soleil, ils fermèrent avec soin le cadenas de la chaîne qui attachait notre canot à l’arrière du navire et allèrent se coucher sur la dunette. J’avais placé près d’eux une bouteille de rhum et un flacon d’ariak, — c’était l’ordre du capitaine. Je ne savais pas pour quel motif, mais comme je les guettais, je les vis boire et s’endormir ivres-morts. Le capitaine les guettait aussi, car, aussitôt qu’il les vit endormis, il me dit tout bas :

— Eh ! gamin, à l’ouvrage ! Dédoublons le canot !

Machinalement, sans rien y comprendre, je le suivis. Le canot avait été construit en double, c’est-à-dire qu’il contenait une se-