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Page:Garnir - À la Boule plate.djvu/180

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Il quitta le théâtre, entra dans un café presque désert et, pendant longtemps, tambourina le marbre de la table. Il fut surpris en se voyant, de profil et de face, dans les grandes glaces qui, décorant les quatre murs, se renvoyaient son image.

L’étonnement de ses yeux fit travailler sa pensée, la reporta à des choses qui déjà lui parurent anciennes : était-ce bien lui, cet homme aux yeux de fièvre, que les miroirs réfléchissaient ? lui, l’époux hier encore heureux, d’une femme raisonnable ? lui, le commerçant naguère estimé, bien accueilli partout et par tous ? lui, l’homme qui s’apprêtait à tout trahir, à tout renier, qui allait se précipiter dans les bas-fonds de la déchéance, dans un galop de fuite, sous un vent de catastrophe, sous les huées ? lui, l’homme qui s’apprêtait à sacrifier à une femme pleine de souillures, la fidèle et saine compagne d’une vie jusque-là normale ?

Oui, c’était lui ; il ne se reconnaissait pas dans cette image, mais c’était lui cependant, lui, comme sorti de lui-même, si loin de son passé de brave homme, si détaché de ses ambitions modestes, lui, corps et âme livré à cette aventurière à l’esprit frivole et vil, sur le compte de laquelle sa passion ne parvenait même pas à se donner le change, mais dont la force diabolique, la séduction inexprimable