Page:Garnir - À la Boule plate.djvu/262

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Deux fois encore, il s’efforce de sourire ; il dit à Rose, d’une voix si lointaine qu’elle la distingue à peine : « Votre premier enfant… vous l’appellerez Julien… ou Julienne… »

Puis il a un sursaut, crispe ses doigts, crie presque : « Mon Dieu… mon Dieu… je ne verrai pas ça… je ne verrai plus jamais ça… » ; ses yeux paraissent s’emplir de l’étonnement du tombeau — et, brusquement, il se raidit dans une secousse, deux filets de sang au coin des lèvres. L’heure est venue : Julien a cessé de souffrir.

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Tandis que les deux femmes, sanglottantes, sortaient de la chambre, Charles s’assit près du lit et, longtemps, contempla le cadavre.

Pourquoi tant raisonner sur la vie, s’attarder aux à-côtés, agiter des contingences et refuser de prendre le bonheur qui s’offre, puisque toutes nos actions, toutes nos jouissances, toutes nos douleurs, toutes nos volontés doivent aboutir à l’éternité du jamais plus, se résorber dans le vertige final du néant ? Ne faut-il pas accepter de la vie ce qu’elle présente de bon, fixer le hasard quand il daigne sourire, cueillir la joie quand elle passe, goûter les répits que le malheur nous laisse, écarter sans hésiter la broussaille pour atteindre le fruit ? Pourquoi s’inquiéter de ce