Page:Garnir - À la Boule plate.djvu/261

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lointaine, d’une voix sans timbre, coupée de courtes suffocations, qu’il leur dit :

— Charles, Rose… mes deux amis… il y a longtemps que je sais que vous vous aimez… sans vous le dire… Vous êtes libres… libres tous les deux… Ratchichi va mourir… il faut que vous l’écoutiez bien… vous ne serez jamais heureux que l’un par l’autre… il ne faut pas, Charles, que tu sois l’amant de Rose… il faut que tu sois son mari…

Rose pousse un cri étouffé, se rejette en arrière, comme renversée par l’imperceptible haleine de l’agonisant. Charles, très pâle, reste immobile ; puis il prend doucement les mains de Julien, les pauvres mains qui, en attendant le moment très proche où elles ne remueront plus jamais, s’étaient remises à errer sur le drap, dans une recherche anxieuse.

Les yeux de Julien se fixent sur ceux de Charles :

— Dis à Rose… et à Mme Cécile qu’elles m’embrassent bien…

Les deux femmes le baisent sur les joues, retenant leur souffle comme si elles craignaient de disperser le feu-follet de vie qui erre encore sur ce corps presque sans forme, frisonnantes de sentir sous leurs lèvres le creusement des os décharnés, la dernière chaleur de fièvre qui, pour quelques minutes encore, tiédit cette peau sèche.