Page:Garnir - À la Boule plate.djvu/37

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de revolver, une chose obsédante lui était revenue sans cesse à la mémoire ; dès qu’il fermait les yeux, il revoyait un spectacle qui, à quatre ou cinq ans de là, l’avait frappé et ému. C’était, à la fin d’une journée de chasse, au pied d’un arbre, un chien qu’il avait par mégarde blessé le matin : la bête agonisait, ramassée sur elle-même, grelottante et sanglante, au vent d’hiver, à l’angle d’un bois dépouillé, ne léchant même plus sa plaie, un œil sorti de l’orbite, l’autre plein d’épouvante et de souffrance ; elle crevait, sans pousser une plainte, sur un lit de feuilles mortes détrempées dans de la neige fondue.

Cette détresse totale avait été longtemps celle de Charles ; cette bête au cœur terrifié, battant à coups profonds qui, chaque fois, devaient lui labourer toute la chair, c’était lui : dès qu’il fermait les yeux, la fantasmagorie de la fièvre le couchait au coin du bois, sur les feuilles — et il s’écoutait mourir, sans rien d’héroïque, dans les larmes et le sang lentement égouttés.

Cette hantise de cauchemar avait duré longtemps. Il ne voulait pas « se raisonner ». Il souriait, avec une amertume philosophique et renonçante, d’entendre des gens l’appeler neurasthénique de l’amour et lui prêcher que la volonté est le remède le plus noble donné à notre humanité infirme !