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patron Alembert Picquet témoignait une déférence véritable à ce client toujours en train, qui passait la moitié de la journée en tête-à-tête avec des demis, payait bien, parlait haut, et riait fort.

Dès qu’Odon et Charles Lévé de Gastynes furent devenus camarades, Odon conduisit Charles à la Boule Plate, heureux de présenter aux copains un baron authentique, fier d’avoir recruté un nouveau venu d’une éducation et d’une instruction visiblement supérieures à celles des familiers du lieu, y compris les reporters, le nègre et les hommes politiques.

Quand ils pénétrèrent dans l’établissement, ce soir-là, la fumée des cigares et des pipes roulait des vagues paresseuses, bleuâtres et épaisses sous le plafond bas de la « salle réservée » c’était l’heure de l’appéritif ; les verres contenaient des liquides aux senteurs fortes, jaunes, verts, rouges, bruns, diversement aromatisés. Et cela fleurait aussi le vieux meuble, les coins mal nettoyés, la bière de la veille, la cave proche, trois fois centenaire, où moisissaient ensemble les tonneaux, les pailles et les reliefs de victuailles.

Odon et Charles s’attablèrent avec trois « gens de lettres » dont un critique dramatique et deux critiques d’art officiant dans des hebdomadaires, tous si enfiévrés par la discussion qu’ils semblèrent à peine apercevoir les nouveaux arrivants.