Page:Garnir - Le Commandant Gardedieu, 1930.djvu/20

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rebuvais à longs traits à la source claire où la soif des ancêtres s’abreuva de tout temps.

Et pourtant, un malaise me pesait sur l’estomac comme un pain de munition. Assurément ce pauvre Tartarin était devenu le fléau de mes concitoyens, mais ma lettre, ma lettre qui l’exilait de Mons, n’avait-elle pas été trop sévère ? N’avais-je pas abusé de son amitié et de mon autorité ? Entre nous — entre moi, si vous voulez — n’est-ce pas à sa fameuse conférence que je dois mes galons de commandant ? Je ne pouvais donc m’empêcher de l’admirer d’avoir, sans une plainte, comme en service commandé, accepté l’ostracisme… Il avait dû chanter, tel le duc de Parthenay, en quittant ce Mons qu’il aimait tant :

Je t’aime, entends-tu, je t’adore…
Et c’est pour ça que je m’en vais.

Et une image m’obsédait : mon imagination me le représentait brouettant ses deux malles vers l’inconnu, suivi d’Aimé Bouton qui s’essoufflait derrière, sa dernière caisse de cigares sous le bras…

C’est bête : un commandant ne devrait pas s’attendrir… eh bien ! je l’avoue, je me sentais une larme à l’œil quand je remis, en sortant de la gare, mon coupon au racoleur.