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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/124

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AUTOUR DU SOFA.

nouveau de répondre à Jean Morin ; mais quelques petits verres de cognac lui eurent bientôt délié la langue, et c’est pour en avoir dit plus long qu’elle ne l’aurait voulu, que la pauvre femme, dégrisée, rentrait chez elle d’un air inquiet et malheureux.

Pierre essaya de la questionner ; il en reçut un soufflet pour toute réponse. Furieux de ce traitement, auquel dame Babette ne l’avait pas habitué, mécontent de la mauvaise humeur de son cousin, il se rappela que Mlle Canne avait toujours été bonne pour lui et résolut de tout lui dire ; mais il craignit la vengeance de Morin et continua d’épier Virginie en silence. Vers huit heures et demie du soir il la vit faire quelques préparatifs. La concierge paraissait endormie, la jeune fille allait et venait bien doucement pour ne pas la réveiller ; elle fit deux paquets et sortit de sa chambre, après en avoir caché un sous sa robe et déposé l’autre sur une planche.

« Elle va partir, « se dit Pierre, qui sentit battre son cœur en pensant qu’il ne la verrait plus. S’il n’avait pas été fâché contre Morin, il aurait éveillé dame Babette afin qu’elle s’opposât au départ de la jeune fille ; mais dans l’état des choses, il retint son haleine et fit semblant d’être absorbé par sa lecture, désirant au fond de l’âme que Mlle Canne pût réussir dans l’entreprise qu’elle tentait. Elle s’arrêta en passant, lui posa la main sur la tête et le baisa doucement au front ; les yeux du gamin s’emplirent de larmes, il regarda sa mère avec inquiétude : mais celle-ci dormait toujours, et Virginie s’éloigna. Le cœur de Pierre battit plus fort ; Morin devait être aux aguets, il arrêterait la jeune fille, l’enfant n’en doutait pas et voulait suivre Mlle Canne, cette fois pour l’avertir, mais il était trop tard ; il craignait d’ailleurs de réveiller dame Babette et de subir sa colère.