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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/160

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AUTOUR DU SOFA.

toyer sur le sort des noirs, et de nous fourrer de petits portraits de nègres avec cette légende imprimée sous la gravure :

« Ne suis-je pas un homme comme vous ? Ne suis-je pas votre frère ? »

« Je vous demande un peu si je suis la sœur et l’égale de chaque négrillon, qui sert de valet aux petits maîtres ? On dit même que ce pauvre M. Gray avale son thé sans sucre, parce qu’il prétend voir sur chaque morceau une tache de sang. Voilà ce que j’appelle de la superstition. »

Ce fut encore pis le lendemain.

« Bonjour, ma chère, me dit-elle en entrant ; comment ça va-t-il ? Milady m’envoie causer un peu avec vous pendant que M. Horner me prépare de la besogne. Entre nous soit dit, M. le régisseur n’est pas flatté de m’avoir pour secrétaire, ce qui est vraiment bien heureux ; car maintenant que le voilà veuf, s’il était poli, j’aurais besoin d’un chaperon. Dans tous les cas, je m’efforce de lui faire oublier que je suis une femme : je m’acquitte de mes devoirs avec la précision d’un comptable et d’un copiste mâle ; le pauvre homme n’a pas une faute à reprendre : l’écriture est bonne, l’orthographe excellente, l’addition irréprochable. Je le vois qui me regarde du coin de l’œil, en faisant une mine d’une aune, parce que je suis du sexe féminin, comme si c’était de ma faute ! J’ai tout essayé pour le mettre à son aise, j’ai mis ma plume derrière l’oreille, je lui ai fait un salut au lieu d’une révérence, j’ai sifflé, non pas un air, mon habileté ne va pas jusque-là ; j’ai dit : sac à papier, que la peste m’étouffe ! Je ne peux pourtant pas faire davantage ; malgré cela il ne veut point oublier que je suis une femme ; d’où il résulte que je ne fais pas la moitié de la besogne que je pourrais expédier. Ah ! si ce n’était pas pour plaire à milady, j’enverrais le régisseur et ses livres à tous les