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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/161

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LADY LUDLOW.

diables… voyez comme cela vient naturellement ! ne dirait-on pas que je suis un homme ? Et figurez-vous que j’ai une commande de douze bonnets de nuit pour un mariage ; je ne sais vraiment pas si j’aurai le temps de les faire. Puis ce M. Gray, qui profite de mon absence pour séduire ma naine !

M. Gray, séduire Sally ! m’écriai-je.

— Allons donc ! ce n’est pas ce que vous pensez, vilaine petite ; il y a plusieurs genres de séduction ; il veut qu’elle aille à l’église et il vient quand je n’y suis pas causer avec elle de l’état de son âme. Je rentre chez moi, le rôti est carbonisé. Je me fâche naturellement, et je dis à Sally de ne pas s’occuper de son salut quand le rosbif est au feu ; là-dessus mon insolente me répond en me citant un passage relatif à Marthe et Marie, trouvant qu’elle a bien fait de laisser brûler mon bœuf, au point que c’est tout au plus s’il en restait une bouchée pour la petite fille de Ben, qui vient d’avoir la scarlatine. J’avoue que cela m’a fait sortir des gonds ; je crains même d’avoir été un peu vive ; toujours est-il que je lui ai répondu que j’avais une âme aussi bien qu’elle, et que je prendrais à mon tour le droit de la sauver en pensant au Seigneur au lieu de m’occuper de ce que j’avais à faire. Je me suis donc reposée toute l’après-midi, ce qui m’arrive si rarement que cela m’a fait beaucoup de bien. À l’heure du thé, je vois entrer ma naine, avec sa bosse sur le dos et son âme à sauver, qui me demande si je suis allée à la ferme pour dire qu’on envoyât du beurre. « Non, du tout, répondis-je, j’ai consacré toute l’après-midi à mes devoirs spirituels. — J’en rends grâce à Dieu, riposte l’impudente, c’est le résultat de mes prières. » Ah ! monsieur Gray, si vous aviez été là ! Peu importe ; j’étais bien résolue à ne pas m’occuper de sujets charnels, et à faire manger du pain sec à ma Sally, qui ne peut pas le souffrir. Quand j’eus