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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/164

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AUTOUR DU SOFA.

elle se remit aussitôt et répliqua d’une voix qui me parut être un peu sèche :

« Le manque de respect envers Dieu, monsieur Gray, doit s’attribuer au directeur de la paroisse, permettez-moi de vous le dire et pardonnez ma franchise.

— J’ai besoin, au contraire, que vous me parliez franchement, milady ; je ne suis pas accoutumé à ces formes de langage, qui font partie de l’étiquette, dans le monde où Votre Seigneurie est placée, et qui me semble constituer autour d’elle un rempart que ma voix ne peut franchir ; parmi ceux avec lesquels j’ai vécu, on est habitué à dire sa façon de penser d’une manière franche et nette, surtout quand il s’agit de ce qui vous tient au cœur. Votre Seigneurie n’a donc pas besoin de s’excuser de sa franchise, que je réclame tout entière. J’admets avec vous, milady, que c’est la faute du pasteur qui la dirige, si, dans cette paroisse, les enfants jurent, blasphèment, offrent l’exemple d’une brutalité révoltante, s’ils ne savent rien au monde, si quelques-uns d’entre eux ignorent jusqu’au nom du Créateur ; je le reconnais, et cette faute, qui est la mienne, pèse sur mon âme d’un poids qui s’augmente tous les jours. Je m’épuise en efforts inutiles pour améliorer ces enfants qui m’échappent, et qui grandissent pour le mal ; bientôt ils seront des hommes et n’auront de capacité que pour le crime. Vous êtes toute puissante, milady ; et je m’adresse à vous pour que vous m’aidiez, non-seulement de vos conseils, mais de toute l’influence… »

M. Gray, qui s’était assis et relevé plusieurs fois pendant cette allocution, retomba sûr sa chaise, interrompu qu’il était par une violente quinte de toux qui le fit trembler des pieds à la tête. Milady sonna pour demander un verre d’eau et parut très-affligée.

« Vous êtes malade, monsieur Gray, dit-elle de sa voix la plus sympathique ; c’est là ce qui vous fait exagérer