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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/179

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LADY LUDLOW.

c’était un homme qui mangeait la moitié des mots, expédiait à la hâte toutes les parties du service, et qui trouvait toujours, quelque pressé qu’il fût, le temps d’aller se mettre sur le passage de Sa Seigneurie et de la saluer mille et mille fois. Je suis certaine qu’il lui aurait été moins pénible d’être réprimandé, voire souffleté par une comtesse, que de passer auprès d’elle sans en être aperçu. Lady Ludlow approuvait certainement qu’on rendît hommage à son titre et à sa qualité : c’était une sorte de tribut qu’elle recevait au nom de la noblesse, tribut qu’elle n’avait le droit de remettre à personne, et qu’elle était contrainte d’exiger au besoin ; mais elle avait tant de modestie et de simplicité, elle se croyait personnellement si peu de chose, qu’elle ne pouvait souffrir les manières serviles de M. Crosse, notre ministre par intérim. Elle avait horreur de son sourire et de ses saluts perpétuels, de l’empressement qu’il mettait à l’approuver, à changer d’avis, si par hasard il avait eu le malheur d’émettre une opinion qu’elle ne partageait pas. Milady parlait très-peu, comme vous savez, beaucoup moins que si elle eût vécu avec ses égaux ; mais nous l’aimions tant, que nous savions interpréter ses moindres gestes ; elle avait de ces mouvements de tête particuliers, de ces façons de contracter ses doigts délicats et souples, qui me révélaient ses impressions tout aussi bien que des paroles auraient pu le faire ; et je compris qu’elle serait fort aise lorsque notre pauvre pasteur reprendrait son service, quitte à le voir s’en acquitter avec un excès de zèle aussi fâcheux pour lui qu’impatientant pour elle. D’ailleurs si M. Gray ne faisait pas plus de cas des opinions de lady Ludlow que de celles d’une femme ordinaire, Sa Seigneurie avait trop de sens pour ne pas trouver infiniment plus de plaisir à causer avec lui qu’avec M. Crosse, qui ne savait que répéter ses paroles.