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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/253

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UNE RACE MAUDITE.

gras, était tué pour alimenter la marmite pendant l’hiver, la laine du troupeau servait à faire les vêtements ; mais il était défendu au propriétaire de manger ou de conserver les agneaux de ses brebis ; le seul bénéfice qu’il pût tirer de cet accroissement de richesse était de remplacer les bêtes malades, ou trop vieilles, en choisissant les plus fortes parmi les nouveau-nées. À la Saint-Martin, les autorités communales venaient faire l’inspection du bétail des cagots ; si l’un de ces malheureux possédait seulement une bête de plus que le nombre autorisé, on faisait main basse sur la totalité du troupeau, dont la moitié allait à la commune et l’autre au bailli, qui en était le premier magistrat.

Il fallait encore, pour les pauvres bêtes, ne point dépasser les bornes qui leur étaient assignées. Tandis que les vaches des habitants de la paroisse pouvaient aller et venir en quête de l’herbe la plus tendre, de l’ombre la plus épaisse ou des sources les plus limpides, tandis que pendant les chaleurs étouffantes de l’été elles se rendaient aux étangs les plus frais pour y séjourner en s’émouchant avec paresse, le cochon et la brebis du cagot devaient apprendre à reconnaître certaine ligne imaginaire qu’ils ne pouvaient franchir, sous peine d’être saisis et tués par le premier venu ; celui-ci prenait alors, pour sa part, la meilleure portion de l’animal, et restituait gracieusement les bas morceaux au légitime possesseur ; ce qui n’empêchait pas les dommages causés par le bétail du cagot, lorsque le malheureux en avait, d’être bien et dûment estimés, et de donner lieu à une amende que payait le réprouvé, ni plus ni moins que s’il avait profité du bénéfice des lois.

Un cagot venait-il à sortir de chez lui pour aller dans une ville, où même ses services avaient été demandés, il y était sans cesse averti de la réprobation dont sa race était