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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/281

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LA DESTINÉE DES GRIFFITH.

indolent, et se laissait facilement conduire ; mais une fois qu’elle était éveillée, sa fureur devenait tellement vive, qu’il en redoutait la violence, et il lui arrivait parfois d’étouffer la colère la plus motivée, dans la crainte d’arriver à perdre tout empire sur lui-même. S’il avait fait de bonnes études, il est probable qu’il se serait distingué dans les branches de la littérature qui demandent plus d’imagination que de jugement. Tel qu’il était, et dans le milieu où il se trouvait placé, le jeune Griffith révéla son goût littéraire et artistique en réunissant une collection d’antiquités et de manuscrits gallois qui auraient excité l’envie du docteur Pugh lui-même, si le docteur eût vécu à cette époque.

Un trait caractéristique de celui-ci, que j’ai oublié de mentionner, et qui surtout le distinguait des hommes de son rang, c’est qu’il ne buvait pas. Était-ce par répugnance ou par crainte de lui-même qu’il évitait de s’enivrer ? c’est ce que je ne saurais dire ; mais à l’âge de vingt-cinq ans, il était généralement sobre, chose tellement rare dans son pays, qu’on l’y prenait pour un être incivil ou insociable, et que, mal accueilli des autres, il passait dans la solitude la plus grande partie de son temps.

Vers cette époque, il fut appelé comme témoin aux assises de Caernanone, et descendit chez son procureur, un Gallois plein de finesse et de ruse, dont la fille unique eut assez de charmes pour captiver son hôte. Robert resta quelques jours seulement chez le légiste ; mais cela suffit pour que deux mois après, s’étant marié, il installât sa jeune femme à Bodowen. La nouvelle épouse était soumise, pleine de douceur ; elle adorait son mari, qui pourtant lui inspirait une certaine crainte, en raison des études sérieuses dont la plupart des journées de Robert étaient remplies, et auxquelles la jeune femme ne comprenait pas un mot.