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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/290

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AUTOUR DU SOFA.

un affreux cauchemar. C’était bien le même coucher du soleil qu’il voyait dans son enfance, la même lumière qui colorait les nuages de pourpre, et qui s’évanouissait pour faire place aux pâles rayons de la lune, tandis que, çà et là, flottait une légère vapeur qui traversait l’Occident.

La terre avait conservé le même aspect ; c’étaient bien les mêmes bruits du soir, le même vent qui rasait la bruyère, et les mêmes parfums qui s’élevaient de la prairie.

Pourquoi son père avait-il changé depuis l’époque où ils s’arrêtaient tous les deux pour écouter cette harmonie sublime ?

D’autres fois il allait s’asseoir dans un creux des rochers de Moël Gêst, où, abrité par un bouquet de sorbiers aux feuilles légères, les pieds sur un coussin d’herbe aux perles, il regardait la baie se déployer au-dessous de lui, et suivait d’un œil pensif les bateaux pêcheurs, dont le soleil faisait briller les voiles ; puis il tirait un vieux livre, son ancien compagnon d’étude, et, sous l’inspiration de la terrible légende qui était restée comme une ombre dans un coin de sa mémoire, il cherchait la tragédie qu’il avait lue tant de fois ; le volume s’ouvrait de lui-même à la page usée où commençait l’Œdipe ; et Owen s’arrêtait palpitant sur l’antique prophétie qui offrait une si grande ressemblance avec celle de Glendower.

Pensant alors au mépris dont il était l’objet, il éprouvait une sorte d’orgueil en songeant au rôle que la légende lui avait accordé, et il se demandait par quelle fatalité imprudente on osait ainsi provoquer le vengeur.

Parfois, effrayé de lui-même, il se livrait avec frénésie à un exercice violent qui l’empêchait de sentir et de penser ; ou bien il se rendait à une petite auberge, située au bord d’une route peu suivie, où le bon accueil des maîtres de la maison, bien qu’intéressé, contrastait