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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/314

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AUTOUR DU SOFA.

À la fin, cependant, le souvenir de la pauvre Nest fit diversion à cette horrible pensée, et le tira de sa léthargie douloureuse ; il déplia une voile qu’il étendit sur le corps de son père ; et de ses mains roidies prenant les rames, il longea la côte, en se dirigeant vers Criccaeth. Lorsqu’il fut arrivé près d’un endroit où les rochers, en s’ouvrant, formaient une espèce de gorge étroite, il y poussa l’esquif, jeta l’ancre tout auprès du rivage, et gravit la côte escarpée. Il se disait en lui-même qu’il serait bien heureux de tomber à la mer, où il trouverait le repos et l’oubli ; et cependant il cherchait par instinct les endroits les plus sûrs pour y poser les mains et les pieds, jusqu’à ce qu’il fût arrivé sain et sauf au terme de l’escalade. Owen se mit alors à courir comme un fou dans la direction de Ty-Glas ; puis il s’arrêta, revint sur ses pas avec la même vitesse, se jeta sur l’herbe, et, rampant jusqu’au bord du précipice, attacha un regard avide sur le bateau, afin de voir s’il n’y découvrirait pas un signe, un mouvement qui annonçât la vie. Tout restait immobile. Cependant la lumière qui se jouait dans les plis du linceul, lui fit croire qu’il avait vu remuer quelque chose ; il glissa le long du rocher, plongea dans la mer et gagna le bateau, à la nage. Pendant une minute ou deux il regarda la toile sans oser la soulever ; puis saisi de terreur en pensant qu’il pouvait laisser éteindre le dernier souffle qui restât chez son père, il écarta tout à coup le voile funèbre : les yeux du cadavre le contemplèrent avec la fixité de la mort ; tout était bien fini.

Owen ferma les paupières, rapprocha les lèvres l’une de l’autre, et baisa respectueusement le front pâle de sir Griffith.

« C’était ma destinée, dit-il ; mieux aurait valu, mon père, que je fusse mort en naissant. »

Le jour s’éteignait peu à peu ; qui saura dire combien