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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/313

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LA DESTINÉE DES GRIFFITH.

gea, revint à la surface de l’eau, plongea encore, et vit son père étendu au fond de la baie ; il le saisit, le ramena près de la barque, l’y jeta par un effort désespéré, et ne se hissa lui-même dans le canot que par l’instinct qui veille le dernier à la conservation de l’individu. Bientôt, prenant ses sens, il regarda sir Griffith dont le crâne était ouvert et la figure livide ; il mit la main sur la poitrine du blessé, le cœur ne battait plus.

« Mon père ! mon père ! s’écria-t-il, revenez à la vie ; jamais vous n’avez su combien je vous ai aimé, combien je vous aimerais encore… »

Le souvenir de son enfant arrêta les paroles sur ses lèvres.

« Vous ignoriez comment il a cessé de vivre, reprit-il après un instant d’angoisse. Oh ! mon Dieu ! si j’avais eu la patience de vous le dire ; si vous aviez eu celle de m’entendre… et maintenant tout est fini ! »

Fut-elle attirée par cette voix plaintive, ou s’étant aperçue de l’évasion du prisonnier, cherchait-elle son mari pour l’informer du fait, c’est ce que je ne saurais dire ; mais au sommet des rochers, précisément au-dessus de lui, Owen entendit sa belle-mère appeler sir Griffith à plusieurs reprises.

Il garda le silence, et poussa le canot tout près de la côte, à un endroit ou des broussailles qui s’avançaient au-dessus de la baie, ne permettaient pas qu’on pût le découvrir du rivage. Pour mieux se cacher, il s’étendit à côté du cadavre de sir Griffith, et se rappela l’époque, où dans son enfance, il partageait le lit de son père, qu’il éveillait au point du jour pour lui entendre raconter d’anciennes légendes. Combien resta-t-il ainsi, le corps glacé, la tête en feu, se débattant contre l’horreur d’un fait qui réalisait l’affreux cauchemar d’autrefois ? Il n’en sut rien lui-même.