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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/329

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LES DEUX FRÈRES.

la petite famille n’aurait pas eu de quoi vivre, si ma tante n’avait ajouté aux profits de son aiguille le peu d’argent qu’elle avait épargné.

Bientôt ma mère sentit que ses yeux s’affaiblissaient ; elle voyait assez pour aller et venir dans la maison et pour faire de gros ouvrages, mais non plus de manière à coudre assez finement pour gagner quelque chose. Elle avait trop pleuré la mort de sa fille ; car ce n’étaient pas les années qui lui faisaient perdre la vue ; elle était jeune à cette époque, et l’on m’a dit souvent qu’elle était la plus jolie femme de tout le pays. Ce fut pour elle un vif chagrin de ne plus pouvoir concourir aux dépenses du ménage. Ma tante essayait bien de lui persuader qu’elle avait assez à faire de tenir la maison et d’élever son enfant ; mais elle n’en savait pas moins que leurs ressources étaient insuffisantes, que sa sœur ne mangeait pas assez pour satisfaire son appétit, et que Grégoire, dont la part était toujours complète, quelque minime que fût celle de sa mère, avait besoin d’une meilleure nourriture.

Un jour, les deux sœurs étaient l’une auprès de l’autre ; ma tante travaillait de toutes ses forces, et ma mère endormait Grégoire sur ses genoux, lorsqu’elles reçurent la visite de William Preston. William avait passé la quarantaine depuis longtemps ; c’était l’un des plus riches cultivateurs des environs ; il avait connu ma mère et ma tante à une époque où elles étaient plus heureuses : autant de motifs pour qu’on lui fît bon accueil. Il tourna son chapeau dans ses mains pour se donner meilleure contenance, écouta ma tante Fanny qui s’était emparée de la conversation, et regarda ma mère, à peu près sans rien dire. À compter de ce jour-là, il revint fréquemment visiter les deux sœurs ; toutefois sans causer davantage, et sans parler du motif qui l’amenait auprès d’elles. Un dimanche, tante Fanny resta pour garder le petit Grégoire,