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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/333

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LES DEUX FRÈRES.

notre mère ? C’est donc ma tante qui fut chargée de moi, presque aussi tôt après ma naissance ; elle m’avait nuit et jour à côté d’elle, car j’étais d’une faiblesse excessive.

Mon père me prodiguait également tous ses soins. Il y avait plus de trois cents ans que la terre dont il était possesseur, appartenait à ses ancêtres qui s’y étaient succédé de père en fils, et le désir de me léguer à son tour ce domaine patrimonial aurait suffi pour qu’il s’intéressât vivement à mon existence ; mais il avait besoin d’avoir quelqu’un à aimer, d’autant plus qu’il était, comme beaucoup d’autres, sérieux et dur pour tous ceux qui ne le touchaient pas personnellement, c’est-à-dire pour tout le monde. Il s’attacha donc à son fils, en raison de l’indifférence qu’il avait pour les étrangers, et reporta sur moi la tendresse qu’il aurait donnée à ma mère, si elle n’avait eu un passé dont il était jaloux.

Quant à moi, je le payais bien de retour ; j’aimais d’ailleurs tous ceux qui m’environnaient, car c’était à qui me gâterait dans la maison. J’avais fini par triompher de ma faiblesse native, et j’étais devenu un gros et bel enfant que tous les passants remarquaient lorsque l’on m’emmenait à la ville voisine.

À la ferme, j’étais le favori de ma tante, le bien-aimé de mon père, l’enfant gâté du vieux domestique, le jeune maître des laboureurs, à l’égard desquels je prenais des airs d’autorité, qui devaient être fort ridicules chez un bambin de mon âge.

Tante Fanny était bonne pour mon frère, et veillait à ce qu’il ne lui manquât rien ; mais quand elle avait rempli à son égard tout ce que lui commandait sa conscience, elle ne pensait plus à lui, et s’occupait de moi, tant elle en avait pris l’habitude, à l’époque où ma faiblesse exigeait tous ses soins. Mon père n’avait jamais pu vaincre la mauvaise humeur que lui inspirait la vue de