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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/332

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AUTOUR DU SOFA.

Vous voyez où les choses en étaient arrivées. La fin de tout cela fut que ma mère, qui était enceinte, ressentit de vives douleurs avant l’époque voulue ; et je vins au monde le jour même de la querelle que je viens de vous raconter.

Mon père fut heureux et triste à la fois ; heureux d’avoir un garçon, et triste de l’état où il avait mis sa femme. Mais c’était l’un de ces individus qui préfèrent la colère au chagrin, parce qu’elle les soulage en leur permettant de se fâcher contre les autres ; il découvrit donc bientôt que c’était la faute de Grégoire, et ce fut un nouveau grief à la charge du pauvre enfant ; grief d’autant plus grave que ma mère, au lieu de se rétablir, s’affaiblissait de jour en jour.

Tous les docteurs de Carlisle furent appelés auprès d’elle. Pour la sauver, mon père aurait fait de l’or avec son sang ; mais rien ne put y réussir.

« J’ai toujours pensé, m’a dit souvent ma tante, que ta mère ne se souciait pas de vivre, et qu’elle s’était laissée mourir sans faire d’efforts pour se rattacher à la vie. » Elle avait pourtant fait scrupuleusement tout ce que les médecins lui avaient ordonné ; mais elle y avait mis l’indifférence qu’elle apportait dans toutes ses actions.

Lorsqu’elle fut près de mourir, elle demanda qu’on plaçât Grégoire dans son lit, à côté de moi, et prenant ma main, elle la posa dans celle de mon frère ; son mari entra au même instant, et quand elle le vit se pencher vers nous avec bonté, elle sourit en le regardant avec douceur ; c’était le premier sourire qu’elle adressait à mon père.

Une heure après, elle avait cessé de vivre. Tante Fanny vint demeurer avec nous. Mon père n’aurait pas mieux demandé que de reprendre son ancienne vie de garçon ; mais c’était impossible avec deux petits enfants ; et quelle femme pouvait mieux nous soigner que la propre sœur de