Aller au contenu

Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
333
LES DEUX FRÈRES.

me serais mis à pleurer ; et je ne parvins à contenir mes larmes qu’en poussant des cris terribles. Je suspendis mon haleine pour écouter : pas de réponse à ma voix ; rien que la neige qui tombait sans bruit, plus épaisse et plus rapide dans sa chute. Déjà glacé et tout engourdi, j’essayai de me mouvoir pour éloigner le sommeil qui commençait à me gagner ; mais je tremblais de rencontrer l’un des précipices qui abondent dans ces terrains incultes. Je voulus crier de nouveau, ma voix fut étouffée par les larmes ; je pensais à l’horrible mort qui m’attendait, au chagrin de mon pauvre père qui, maintenant assis au coin du feu, ne se doutait pas de l’affreuse position où était son fils. « Il en mourra, me disais-je, avec désespoir ; et ma tante, est-ce pour me perdre ainsi qu’elle m’a prodigué tant de soins ! » Ma vie entière se dressa devant moi, et les scènes de mon enfance prirent à mes yeux la réalité des objets qu’on voit en rêve. Au milieu des tortures que me firent éprouver ces souvenirs, je rassemblai toutes mes forces pour jeter un cri de désespoir ; je ne comptais pas même sur l’écho, assourdi par la neige, pour me répondre. Quelle ne fut pas ma surprise ! je venais d’entendre un cri prolongé, presque aussi déchirant que le mien. Était-ce l’un de ces esprits railleurs qui hantent, la nuit, ces lieux déserts et dont j’avais entendu si souvent raconter la légende ? Ma poitrine se gonfla, je renouvelai mes efforts pour crier, il me fut impossible d’articuler un son. Au même instant la voix d’un chien me fit tressaillir ; je crus reconnaître la voix de Lassie, une pauvre bête fort laide, à qui mon père donnait un coup de pied chaque fois qu’il la rencontrait, soit à cause des torts qu’elle avait pu avoir, soit parce qu’elle appartenait à mon frère. Lorsque Grégoire était là, il sifflait sa chienne et s’en allait avec elle dans la grange ou ailleurs. Une ou deux fois mon père, en en-