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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/340

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AUTOUR DU SOFA.

dans ma torpeur, que mon frère me couvrait avec soin, mais je ne cherchai pas à deviner ce qu’il étendait sur mes pieds. Si ma raison avait été moins engourdie, ou si mon cœur avait eu moins d’égoïsme, j’aurais bien su que, dans ce désert, il ne pouvait me couvrir qu’en se dépouillant lui-même. Toujours est-il que je fus satisfait lorsqu’il eut fini de s’occuper de moi ; il s’étendit à mon côté, s’approcha le plus possible de mon corps, et je lui pris la main, que je conservai dans la mienne.

« Tu ne peux pas le rappeler, me dit-il, que nous avons été couchés ainsi, auprès de notre mère mourante. C’est elle qui alors nous avait fait tenir par la main. Je suis sûr que maintenant elle nous voit. Qui sait ? peut-être l’aurons-nous bientôt rejointe ; que la volonté de Dieu soit faite.

— Cher Grégoire ! » murmurai-je en me serrant contre lui pour avoir moins froid, et je m’endormis, comme il parlait de notre mère.

Un instant après, du moins je n’ai jamais m combien avait duré mon sommeil, je fus réveillé par des voix qui ne m’étaient pas inconnues, plusieurs figures, annonçant l’inquiétude, étaient penchées au-dessus de la mienne, et une douce chaleur m’environnait de toute part ; j’étais à la ferme, couché dans mon propre lit. Ma première parole fut pour appeler Grégoire.

Tous ceux qui étaient là échangèrent un regard plein de tristesse ; mon père essaya vainement de rester impassible : ses lèvres tremblantes devinrent pâles, et ses yeux s’emplirent de larmes.

« Je lui aurais donné la moitié de mes terres ; je l’aurais béni comme s’il eût été mon enfant, dit-il. Oh ! mon Dieu, je me serais mis à ses genoux pour lui demander pardon de mon injustice et de ma dureté envers lui. »

Je n’entendis pas les paroles qui suivirent ; mes yeux se