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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/339

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LES DEUX FRÈRES.

membres semblèrent se gonfler, et je ne sentis plus rien qu’une pesanteur excessive qui envahissait tout mon être. Grégoire, mieux couvert, et d’ailleurs plus habitué à la dure, ne semblait pas souffrir autant que moi ; il rappelait continuellement sa chienne, remarquait avec soin la direction qu’elle prenait pour revenir auprès de lui, et dirigeait notre marche en conséquence. J’essayai d’abord de lutter contre l’engourdissement dont j’étais saisi, mais le sommeil était plus fort que ma volonté.

« Je ne peux pas aller plus loin, frère, » balbutiai-je ; et tout à coup, en dépit de ma faiblesse, je devins d’une opiniâtreté insurmontable. Je voulais absolument dormir, ne fût-ce que cinq minutes, et la mort dût-elle en être la conséquence.

Grégoire chercha d’abord à m’entraîner, puis voyant que je résistais à ses prières, il garda le silence et réfléchit un instant.

« À quoi bon ! dit-il en se parlant à lui-même ; nous n’arriverons jamais ; il y a trop loin d’ici à la ferme ; notre seul espoir est dans Lassie. Tiens, frère, enveloppe-toi dans mon plaid, et couche-toi à l’abri de ce rocher ; enfonce-toi bien sous l’espèce de plate-forme qu’il projette au-dessus de la terre ; mais, auparavant, n’as-tu pas sur toi quelque objet que l’on connaisse à la maison ? »

Je lui en voulus de me tourmenter ainsi et de m’empêcher de dormir. Néanmoins, comme il répéta sa question, je tirai de ma poche un foulard de couleur voyante, que tante Fanny m’avait ourlé quelques jours avant ; et je le donnai à mon frère, qui l’attacha au cou de sa chienne.

« Lassie, dit-il en caressant la pauvre bête, vite à la ferme, allons, vite ! »

Et la chienne partit comme un trait pour obéir à son maître.

Enfin, je pouvais donc me coucher et dormir ! Je sentis,