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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/97

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LADY LUDLOW.

La marquise et son fils avaient dû fuir dès les premiers jours de la Révolution ; car ils étaient classés parmi les plus grands aristocrates (un abominable terme qu’employaient ces affreux sans-culottes pour désigner les gens qui tenaient à honneur de conserver les principes où ils s’enorgueillissaient d’avoir été élevés). Clément avait quitté la France, avec la certitude que non-seulement le comte n’avait rien à craindre, mais qu’il était même en faveur auprès de la coterie qui tenait alors le pouvoir. Il fut donc rassuré à l’égard de sa cousine, jusqu’au jour où il apprit que son oncle, en dépit de ses opinions progressives, avait été guillotiné par cette canaille dont il s’était plu à revendiquer les droits.

Lorsque la marquise m’eut raconté cette histoire, j’avoue, poursuivit lady Ludlow, que je reportai sur la mère une partie de l’intérêt que le fils m’avait inspiré tout d’abord. Cette cousine ne me paraissait pas mériter qu’on s’exposât pour elle ; mais quand je vis Clément désespéré, allant et venant comme un homme qu’un songe affreux obsède ; quand je vis qu’il ne pouvait plus manger, qu’il n’avait plus de sommeil, et qu’il supportait sa douleur en silence, pauvre ami ! essayant même un pâle sourire quand ses yeux rencontraient les miens, je me demandai comment la marquise pouvait résister à cette muette supplication.

Lord Ludlow et Monkshaven s’indignaient qu’une mère pût empêcher son fils de courir un danger honorable, d’accomplir un devoir impérieux, celui de sauver une orpheline dont on est le seul appui. « Il n’y a qu’un Français, disait milord, qui puisse se trouver lié en pareille circonstance par les terreurs et les caprices d’une vieille femme. Qu’y gagnera la marquise lorsque ce pauvre Clément sera mort de chagrin sous la contrainte qu’elle lui impose ? La démarche est périlleuse, il faut en conve-