Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/116

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ques phrases, fort peu alarmantes en elles-mêmes, et dont cependant je m’inquiétai. Les voici, à quelques mots près :

« Je m’ennuierais fort en ce lointain pays, m’écrivait Holdsworth, sans la liaison qui s’est établie entre moi et un habitant français nommé Ventadour. Sa famille et lui me sont d’une grande ressource pendant nos interminables soirées. Je ne vois guère ce qu’on pourrait préférer, en fait de musique vocale, aux chœurs exécutés par les jeunes filles et les jeunes garçons de cette maison. Je retrouve d’ailleurs chez eux, dans leurs façons de penser et de vivre, un élément étranger, comme une saveur exotique qui me rend le souvenir des plus heureux temps de ma vie. La fille puînée, Lucile, ressemble singulièrement à Phillis Holman. »

En vain me répétai-je que cette ressemblance était précisément l’attrait principal qui appelait Holdsworth chez les Ventadour, — qu’une pareille intimité s’expliquait d’elle-même, qu’elle ne pouvait avoir aucunes conséquences inquiétantes pour moi — un pressentiment pénible résistait à toutes ces réflexions, qui ne me rassuraient guère.

Peut-être auraient-elles été autrement efficaces, si je n’avais eu à me demander compte, malgré moi, des résultats produits par ma désastreuse confidence à Phillis. La vivacité actuelle de la jeune fille différait essentiellement de la quiétude sereine où je l’avais vue naguère. Si je m’oubliais à la contempler, cherchant en quoi consistait cette différence, et si elle venait à surprendre mon regard, elle rougissait, elle s’agitait, devinant que je songeais à ce lien mystérieux formé entre nous. Ses yeux se baissaient devant les miens, comme si elle craignait de me laisser lire dans leurs orbes éclatants la secrète pensée qui les faisait ainsi rayonner.