Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/128

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lant ou se taisant, ne gardait jamais aucune arrière-pensée !

En fin de compte, on sortit de table ; mais, au moment de se séparer, personne ne montrait la moindre animation, le moindre intérêt pour les travaux qu’on allait reprendre. Ce fut avec une espèce de soupir que le ministre se mit en route du côté des champs où ses ouvriers l’attendaient, et lorsqu’il passa devant nous, je crus m’apercevoir qu’il essayait de nous dérober l’inquiétude dont sa physionomie portait l’empreinte.

Phillis, dès que son père ne fut plus là, retomba dans sa tristesse, dans sa lassitude habituelle, du moins aussi longtemps qu’elle se crut à l’abri de toute observation ; mais aux premiers mots de sa mère elle retrouva, comme par enchantement, pour une commission quelconque, ses vives et promptes allures.

Resté seul avec la chère tante, je dus me résoudre à l’entendre discourir assez longuement sur le mariage de notre ami. Elle le trouvait imprudent d’épouser une Française… « Jamais cette étrangère ne le soignerait comme l’exigeait sa santé, déjà compromise… » En somme, elle s’engourdit peu à peu sur son ouvrage ; et je pus, sans manquer à cette excellente femme, m’évader à petit bruit vers ces solitudes où j’éprouvais le besoin de me retrouver un moment pour réfléchir, pour m’invectiver tout à mon aise.

C’est ce que je fis, sans beaucoup d’utilité ni de succès, pendant une heure environ passée au bord d’un étang, où machinalement je m’exerçais à faire ricocher tantôt un caillou, tantôt un éclat de bois. Aucun remède au mal que j’avais fait si involontairement ne s’était offert à ma pensée, quand le bruit lointain de la trompe, annonçant aux ouvriers que la journée était accomplie, m’avertit en même temps qu’il était six heures. Il fallait rentrer au logis.