Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/92

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se soustraire à une espèce de fascination qui, s’exerçant malgré toute sorte de scrupules, s’établissait d’autant plus solidement qu’elle était, à beaucoup d’égards, réciproque. La bonté, la droiture de M. Holman lui avaient gagné, en effet, la sincère admiration de son jeune hôte, à qui plaisaient d’ailleurs son intelligence si nette, son ample et saine curiosité de toute conquête scientifique. Jamais je n’ai vu deux hommes d’âge aussi différent se convenir mieux.

Vis-à-vis de Phillis, Holdsworth se montrait toujours le même, — une espèce de frère aîné, constamment prêt à la guider dans quelques études nouvelles, à lui fournir les moyens d’exprimer telle pensée, tel doute, telle théorie dont elle avait peine à se rendre un compte exact, — et ne se livrant plus désormais que par occasion à ces fantaisies railleuses qu’elle comprenait si malaisément.

Un jour, — c’était pendant la moisson, — il venait de barbouiller sur un chiffon de papier toute sorte d’esquisses, ici un épi de blé, plus loin une charrette de moissonneurs, des pieds de vigne, que sais-je encore ? tout en bavardant avec Phillis et moi, tandis que la bonne tante hasardait çà et là quelques remarques d’ordinaire à contre-sens. S’interrompant soudain :

« Voyons, dit-il à Phillis, restez ainsi, ne remuez plus la tête !… je tiens mon effet. Il y a déjà beau temps que de mémoire j’ai voulu retrouver votre tête, mais j’ai toujours échoué. Il me semble que maintenant je réussirais… Si j’arrive à quelque résultat passable, ce portrait sera pour votre mère. N’est-ce pas, madame, vous ne serez pas fâchée d’avoir votre fille… en Cérès ?

— Certainement, monsieur Holdsworth, un portrait de ma fille me ferait plaisir, mais en lui mettant ainsi de la paille dans les cheveux (il disposait quelques épis autour du front de la jeune fille, étudiant, à son point de