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Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/229

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lement au delà des appréhensions de la jeune fille, qu’elle ne put se rien figurer au delà. Devant cette seule idée, que son père se trouvait en passe d’être condamné à la déportation, elle demeura muette d’horreur, les yeux dilatés, les lèvres pâles, et regardant toujours Philip comme s’il l’eût fascinée, elle finit par se laisser tomber, en balbutiant quelques paroles inarticulées, sur un siége placé près d’elle.

S’agenouillant aussitôt à ses pieds, commençant vingt phrases qu’il n’achevait pas, baisant sa robe dans un élan passionné, sans qu’elle écoutât aucune de ses paroles, sans qu’elle prît garde à aucun de ses gestes :

« Sylvia ! disait-il, Sylvia ! — et encore fallait-il contenir sa voix pour ne pas éveiller la pauvre femme qui dormait en haut, — ne déchire pas ainsi, ne déchire pas mon cœur !… Écoute, Sylvia !… Je ferai tout ce qu’il est possible de faire… Tout ce que j’ai pu mettre de côté… Tout mon sang jusqu’à la dernière goutte… Ma vie, s’il le faut, pour sauver la sienne…

— La sienne ? reprit-elle, laissant retomber ses mains dans lesquelles elle avait caché son visage, et cherchant à lire jusqu’au plus profond de son cœur… Qui parle d’attenter à sa vie ?… Tu perds la tête, Philip, je le suppose du moins… »

Elle eût bien voulu le supposer ; mais, en somme, la triste vérité se faisait jour, car elle ne pleurait plus, elle ne tremblait plus, elle ne respirait presque plus, immobile comme la pierre. Cette heure fatale lui dérobait sa jeunesse.

« Tu penses donc qu’ils peuvent nous le tuer ? » dit-elle après une longue pause, parlant à voix basse et avec une sorte de solennité.

Philip détourna son visage sans pouvoir articuler un seul mot. Le silence redevint profond et dura quelque