Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/29

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de faible pour notre fillette, et je voudrais lui faire comprendre qu’elle n’est pas pour lui.

— Je ne pense pas qu’il se soit jamais avisé de songer à elle… Il l’aime comme une enfant qu’on a élevée dès le berceau… Du reste je puis bien, si tu veux prendre garde au lait, mettre mon capuchon et aller au-devant d’elle jusqu’au bout de la prairie. »

Mais, avant que mistress Robson eût déposé son tricot, on entendit dans l’éloignement un bruit de voix qui se rapprochait de plus en plus, et Daniel monta derechef à son poste d’observation.

« Voilà qui va bien, dit-il au retour… Nul besoin de te déranger. Et je gagerais que j’ai reconnu la voix de Philip Hepburn… Je te disais bien, tantôt, qu’il nous la ramènerait. »

La prédiction dont le fermier se targuait, c’était sa femme qui l’avait faite, et il l’avait déclarée hautement improbable. Mais elle ne voulut pas le relever pour si peu, et d’ailleurs ils étaient tout au plaisir de revoir leur petite Sylvia.

Elle revenait, les joues animées par la marée et aussi par le vent d’octobre qui vers le soir commençait à se faire vif ; sur son front un léger nuage, qui ne résista pas aux regards affectueux de ses chers parents. Philip, marchant derrière elle, avait aussi l’air fort animé, mais sa physionomie n’exprimait aucune satisfaction. Il reçut de son oncle un accueil cordial et tandis que, laissant le lait aux femmes, ils dégustaient ensemble un verre de grog, leur entretien roula sur les nouvelles que Philip rapportait de Monkshaven, l’arrivée des baleiniers, les exploits de la press-gang et le reste. Robson ne prenait pas les choses aussi froidement que Philip, et pendant qu’il exhalait maint et maint propos révolutionnaire, son poing robuste, qui retombait à chaque instant sur la table de bois blanc, y faisait vibrer les verres et les faïen-