Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/45

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vité. Chacun des survenants portait en signe de deuil quelque objet noir, quelque vieux lambeau de crêpe rougi, quelque débris de ruban. Il n’était pas jusqu’aux petits enfants, sur les bras de leurs mères, qui n’étreignissent dans leurs doigts innocents la branche de romarin destinée à être jetée dans la fosse comme gage de souvenir. Ce jour-là, effectivement, avaient lieu les funérailles de Darley, le marin tombé sous les coups de la press-gang, et dans la petite cité maritime le deuil était universel. Les vaisseaux du port avaient leurs pavillons à mi-mât, et leurs équipages, distribués en bon ordre, remontaient lentement la principale rue ; tous les visages étaient sombres, toutes les attitudes solennelles. Sylvia, fortement impressionnée par ce douloureux tableau, ne répondait plus, déjà depuis quelques minutes, aux futiles propos de sa compagne, et même elle en éprouvait une sorte d’irritation secrète. Toutes deux se dirigeaient, mêlées à la foule silencieuse, vers la vieille église normande, et parvinrent à prendre place sur un des bancs massifs qu’à grand renfort de bras on avait pu ranger autour de la chaire.

Le vicaire de Monkshaven était un bon et paisible vieillard, haïssant par-dessus toutes choses le trouble et la discorde. Ses opinions théoriques, analogues à celles de tout le clergé de cette époque, le classaient parmi les tories les plus véhéments. Il était difficile de savoir ce qu’il détestait et craignait le plus, des révolutionnaires français ou des sectes dissidentes anglaises. Peut-être cependant avait-il pour celles-ci une haine plus intense, à cause de leur voisinage plus immédiat ; les Français d’ailleurs avaient leur papisme pour excuse, tandis que les Dissidents auraient pu faire partie de l’Église établie, sans l’énorme dépravation qui les en séparait.

Avec une portée d’esprit comme celle que supposent de telles idées, le docteur Wilson devait se trouver alors