Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/6

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bâtiment marchand ; beaucoup de ces navires revenant après une longue absence — et revenant avec une riche cargaison — se virent abordés à douze heures de terre et dépeupler si bien par cette presse impitoyable, que leurs équipages désormais insuffisants, désormais incapables de les ramener au port, étaient réduits à les laisser dériver en pleine mer, où parfois ils se perdaient à jamais. Quant aux hommes ainsi pressés, c’est-à-dire enlevés, il leur arrivait souvent de voir disparaître en un jour le fruit rudement gagné de bien des années de travail, et leurs épargnes rester aux mains des propriétaires du navire où ils avaient servi, exposées à toutes les chances de l’improbité, à tous les hasards de vie ou de mort.

Aujourd’hui cette tyrannie nous paraît surprenante. Nous ne comprenons guère qu’aucun enthousiasme guerrier, aucune panique d’invasion, aucune soumission loyale aux pouvoirs établis, aient pu si longtemps maintenir un pareil joug. La press-gang telle qu’on la voyait alors, — appuyée de patrouilles et de sentinelles qui barraient les rues et bloquaient les maisons à fouiller, — produit sur nous l’effet d’un mythe hideux, et c’est avec une surprise voisine de l’incrédulité que nous entendons parler de ces églises cernées pendant le service divin pour que les agents de l’Amirauté pussent, tout à leur aise, arrêter et saisir au passage les hommes dont elle voulait faire sa proie. Par différents motifs sur lesquels il est inutile d’insister, les habitants du Sud acceptaient avec plus de soumission que ceux du Nord cet état de choses si abusif ; sur la côte du Yorkshire, plus particulièrement, la presse rencontrait des résistances furieuses, spécialement parmi ces matelots qui, grâce à l’élévation exceptionnelle de leurs salaires, pouvaient espérer d’arriver comme tant d’autres au rang de commerçant et d’armateur. Les hobereaux du pays lui étaient beau-