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toute la matinée avant nonne, chassé un ours. La prise de l’ours veue et la curée faite, jà estoit basse nonne. Si demanda à ceux qui estoyent de lez lui quelle part on lui avoit appareillé à disner. On lui respondit à l’hospital de Rion, à deux petites lieues d’Ortais. Tout ainsi comme il fut dit, il fut fait. Ils s’en vindrent tout le pas, chevauchant au village dessus nommé. Le comte de Foix et ses gens descendirent à l’hostel, puis il entra en sa chambre, laquelle il trouva toute jonchée et pleine de verdure fresche et nouvelle, et les parois d’environ toutes couvertes de rameaux tous verts pour y faire plus frais et odorant ; car le temps et l’air du dehors estoit merveilleusement chaud ainsi qu’il est au mois de may. Quand il se sentit en ceste chambre fresche et nouvelle, il dit : « Celle verdure me fait grand bien, car ce jour a esté asprement chaud. » Et là s’assit sur son siége ; puis devisa un petit à messire Espaing du Lyon, et parloit des chiens et lesquels avoient le mieux couru. Ainsi comme il parloit et devisoit, entrèrent en la chambre messire Ivain, son fils bastard, et messire Pierre Cabestan, qui vindrent (jà estoient les tables couvertes en la chambre mesme). Adonc demanda-il l’eau pour laver. Deux escuyers saillirent avant : Raimonnet Lasne et Raimonnet de Componne ; et Cayendon d’Espaigne prit le bacin d’argent, et un autre chevalier (qui se nommoit messire Tibaut) prit la nape. Il se leva de son siége et tendit les mains avant pour laver. Sitôt que l’eau froide descendit sur ses dois (qu’il avoit beaux et droits), le visage lui pallit, et le cueur luy tressaillit, et les pieds lui tressaillirent aussi, et cheut sur le siége tourné, en disant : « Je suis mort ! Sire Dieu, mercy ! » Oncques depuis ne parla ; mais il ne mourut pas si tost, ains entra en peine et en tranché. Les chevaliers (qui là estoient tous esbahis) et son fils le prirent entre leurs bras moult doucement et le portèrent sur un lit, et le couchèrent, et couvrirent et cuidèrent qu’il n’eut seulement qu’une deffante… On lui meit en la bouche pain et eau, espices et toutes choses confortatives ; et tout ce rien ne lui