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Page:Gasztowtt - Le Poète polonais Jules Slowacki, 1881.djvu/137

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Nous vécûmes longtemps sans dire une parole
Et feignant d’être morts ; car chacun espérait
Que le Seigneur peut-être au ciel s’y tromperait
Et de la peste enfin renverserait l’idole.

Il revint ! — Il revint, l’ange exterminateur !
Mais il me trouva, moi, sans larmes et sans cœur,
Insensible à mes deuils, aux fureurs de la peste,
Disant déjà : « Que Dieu prenne tout ce qui reste ! »
Quand mon troisième fils fut atteint à son tour,
En le voyant souffrir, mon cœur resta de pierre,
Car la douleur était mon pain de chaque jour.
Aucune larme alors ne mouilla ma paupière.
Vivant, nous l’aimions moins que nos autres enfants,
Et mort, il fut le moins pleuré de ses parents.
Aussi Dieu lui donna, comme pour récompense,
Une fin calme et douce, une mort sans souffrance ;
Tranquille, il s’endormît de son dernier sommeil,
Se raidit, et devint à la pierre pareil.
Mais la rigidité de ses traits immobiles
Paraissait faire fi de nos pleurs inutiles ;
On eût dit qu’il voulait que ce visage affreux
Se fixât dans nos cœurs, épouvantât nos yeux,
Et pour toujours, — livide avec ses taches noires, —
Criant : « Soyez maudits ! », restât dans nos mémoires !