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arrière-magasins de belles actions clandestines… des accaparements d’héroïsme inédits… des provisions de sacrifices qui n’ont jamais vu le jour… J’en agis ainsi pour ne pas humilier mes contemporains…

LE COMTE.

En vérité ?

DON MELCHIOR.

Rien ne m’est insupportable comme ces fanfarons qui ne savent parler que de leurs exploits… comme ces tranche-montagnes éventrant le ciel du croc de leurs moustaches, et qu’un oiseau partant d’une haie fait évanouir de peur… Moi, je laisse mes actions faire mon panégyrique… et je crains tant de passer pour un bravache, qu’on pourrait me croire poltron.

LE COMTE.

Je vous admire !

DON MELCHIOR.

Tout-à-l’heure, quand vous m’avez demandé si j’étais le sauveur de la reine, je vous ai répondu non… toujours par suite de ce système qui me pousse à me déprécier… afin de ne pas donner dans le travers des gens qui se vantent à tout propos…

LE COMTE.

Eh bien ?

DON MELCHIOR.

Je vous trompais… le sauveur de la reine…

LE COMTE.

Quoi ?… c’était vous ?…

DON MELCHIOR.

Moi !

LE COMTE.

Et vous ne m’en disiez rien ?

DON MELCHIOR.

Il me répugnait de me proclamer moi-même un héros… je voulais laisser ce soin aux trompettes de la renommée.

LE COMTE.

Simple et grand !

DON MELCHIOR.

Mais puisque vous dites que cet acte de courage met son auteur en péril de mort… il faut que je me nomme… ma bravoure l’exige… Vous êtes bien sûr d’avoir la grâce, hein ?… Envoyez-moi des provisions de bouche.

LE COMTE.

Comptez sur moi, mon neveu… je ne négligerai rien… je cours parler à l’instant à quelques membres influents du conseil de Castille… En attendant, entrez dans ce pavillon… (Il ouvre le pavillon à gauche du spectateur.) On ne s’avisera pas de vous y chercher.