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Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/21

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DON MELCHIOR., sur le seuil de la porte.

C’est égal ! je voudrais bien être à table, mais pour vous obéir… (Revenant sur ses pas.) Un mot encore, mon oncle… Le roi est-il jaloux ? a-t-il cet inconvénient conjugal ?

LE COMTE.

Singulière question ! Il est jaloux comme un simple particulier !

DON MELCHIOR.

Alors je suis perdu !… il ne me pardonnera jamais d’avoir connu un bonheur dont le monopole lui appartient !

LE COMTE.

Comment ?

DON MELCHIOR.

Cet habit jaune n’a-t-il pas effleuré le corsage auguste de la reine ?… Que Santiago, le patron des vaillants, me soit en aide ! (Il entre dans le pavillon.)


LE COMTE, un moment seul.

Je ferais peut-être mieux de l’abandonner à son sort ; mais s’il épouse Béatrix, j’en suis débarrassé la même chose, et cela vaut mieux !… Il est toujours déplorable pour un oncle bien situé, de voir son neveu figurer en place publique… (Il sort. — Un moment après Don Gaspar enveloppé d’un manteau paraît au fond.)




Scène IV.


DON GASPAR, seul.

Ils ont perdu ma trace… je puis respirer un moment… Qu’importe d’ailleurs que ces alguazils parviennent à m’arrêter ?… Le sacrifice de ma vie est fait… je ne puis être heureux… à quoi bon traîner plus longtemps une existence misérable ?… Je n’ignore pas le prochain mariage de dona Béatrix !… si je meurs avant, je n’aurai pas du moins à supporter la cruelle pensée qu’elle appartient à un autre !… Ah ! pourquoi l’ai-je rencontrée sur mon chemin ?… pourquoi ai-je aperçu pour la première fois ses traits divins à travers les grilles du chœur ?… dans ce couvent de Burgos… j’ai trop oublié que je ne suis qu’un officier de fortune… Quelle folie à moi, qui n’ai que la cape et l’épée, d’aimer une noble et riche héritière… (En ce moment, des alguazils passent sur la colline au fond ; musique à l’orchestre. Don Gaspar se cache derrière un arbre.) Encore ces alguazils… Oh ! pourquoi leur disputer ma vie ? en vaut-elle la peine ?… j’ai voulu étouffer cet amour… j’ai senti que la raison était impuissante… Dona Béatrix est venue à la cour… je l’y ai suivie en me donnant pour prétexte que j’avais à solliciter une récompense, depuis longtemps promise à mes services… c’était plutôt parce que je ne pouvais vivre loin d’elle !… et aujourd’hui encore, si j’ai pénétré dans le parc d’Aranjuez, si je me suis mêlé à la chasse royale, c’est toujours poussé par le désir ardent de l’apercevoir… ne fût-ce qu’un