Page:Gautier-Lopez - Regardez mais ne touchez pas.djvu/23

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loi stupide et cruelle… Que ferons-nous à ceux qui nous haïssent, si nous traitons ainsi ceux qui se dévouent pour nous ?…

BÉATRIX.

Merci, madame, merci pour ces bonnes et généreuses paroles !… je n’attendais pas moins de Votre Majesté… Vous savez la promesse que j’ai faite… je la tiendrai avec bonheur… Que m’importe le nom de ce jeune homme ?… Pour Béatrix d’Astorga, il s’appelle : le sauveur de la reine !… Il n’est pas de plus beau titre au monde !

GRISELDA.

Je l’épouserais les yeux fermés !… ce doit être un cavalier accompli, et galant comme une devise de jarretière… Je le parierais !… braver ainsi la mort de gaîté de cœur, n’est pas le fait d’un homme vieux ou mal bâti !… Il mérite assurément l’intérêt pour son action et pour son physique !…

BÉATRIX.

Votre Majesté intercèdera pour lui auprès du roi don Philippe, et votre prière sera exaucée sans doute… le roi a tant d’affection pour vous.

LA REINE.

Oui, don Philippe ne peut rester sourd à la voix de l’humanité… En tout autre pays, au lieu d’une grâce, c’est une récompense que j’aurais à demander… Je réussirai sans doute… car j’ai quelqu’ascendant sur lui… je réussirai, si mon influence ne se brise pas contre celle d’Albéroni.

BÉATRIX.

Albéroni !… n’est-il pas tout dévoué à Votre Majesté ?… n’est-ce pas lui qui vous a placée sur le trône d’Espagne, et que nous devons remercier du bonheur de faire partie de vos sujets ?…

LA REINE.

S’il m’a fait monter sur le trône, il voudrait déjà m’en faire descendre !… Croyez-vous que ce soit par un bon souvenir de sa patrie, qu’il ait été me chercher à Parme, pour faire de moi la femme de Philippe V, après avoir chassé de Madrid la princesse des Ursins ?… Non !… l’altière favorite exerçait sur l’esprit du roi une influence qui a fait comprendre au rusé cardinal l’incontestable besoin qu’éprouvait l’Espagne d’une alliance avec une principauté d’Italie…

GRISELDA.

Oh ! le vieux satan !… j’évente sa malice !… il a pensé que le roi écouterait moins sa femme que sa maîtresse !…

LA REINE.

Il me prenait pour une jeune fille sans volonté, une Italienne frivole, occupée de fleurs, de dévotions et de parures… une femme de roi et non une reine !… voilà ce qu’il voulait faire d’Elisabeth Farnèse, grande-duchesse de Parme… Il a déjà pu voir qu’il s’est trompé… Aussi, tâche-t-il de me ruiner dans l’esprit du maître… Je le rencontre au coin de tous mes projets ; je le trouve au bout de toutes mes demandes, comme une porte fermée ; et quand j’implore une grâce, il demande un châtiment.