Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/121

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tence aux autres existences : et pour cela tout le savoir du docteur Balthazar Cherbonneau n’eût pas suffi. Quelle rage ! être dans ce paradis dont il osait à peine regarder le seuil de loin ; habiter sous le même toit que Prascovie, la voir, lui parler, baiser sa belle main avec les lèvres même de son mari, et ne pouvoir tromper sa pudeur céleste, et se trahir à chaque instant par quelque inexplicable stupidité ! « Il était écrit là-haut que Prascovie ne m’aimerait jamais ! Pourtant j’ai fait le plus grand sacrifice auquel puisse descendre l’orgueil humain : j’ai renoncé à mon moi et consenti à profiter sous une forme étrangère de caresses destinées à un autre ! »

Il en était là de son monologue quand un groom s’inclina devant lui avec tous les signes du plus profond respect, en lui demandant quel cheval il monterait aujourd’hui…

Voyant qu’il ne répondait pas, le groom se hasarda, tout effrayé d’une telle hardiesse, à murmurer :

« Vultur ou Rustem ? ils ne sont pas sortis depuis huit jours.

― Rustem », répondit Octave-Labinski, comme il eût dit Vultur, mais le dernier nom s’était accroché à son esprit distrait.

Il s’habilla de cheval et partit pour le bois de Boulogne, voulant faire prendre un bain d’air à son exaltation nerveuse.

Rustem, bête magnifique de la race Nedji,