Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/236

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anglaises, si modestes et si réservées, cependant, après le mariage.

« Vraiment, Paul, vous n’êtes guère aimable depuis quelque temps. Votre galanterie est-elle une plante de serre froide qui ne peut s’épanouir qu’en Angleterre, et dont la haute température de ce climat gêne le développement ? Comme vous étiez attentif, empressé, toujours aux petits soins, dans notre cottage du Lincolnshire ! Vous m’abordiez la bouche en cœur, la main sur la poitrine, irréprochablement frisé, prêt à mettre un genou à terre devant l’idole de votre âme ; — tel, enfin, qu’on représente les amoureux sur les vignettes de roman.

— Je vous aime toujours, Alicia, répondit d’Aspremont d’une voix profonde, mais sans quitter des yeux les cornes suspendues à l’une des colonnes antiques qui soutenaient le plafond de pampres.

— Vous dites cela d’un ton si lugubre, qu’il faudrait être bien coquette pour le croire, continua miss Ward ; — j’imagine que ce qui vous plaisait en moi, c’était mon teint pâle, ma diaphanéité, ma grâce ossianesque et vaporeuse ; mon état de souffrance me donnait un certain charme romantique que j’ai perdu.

— Alicia ! jamais vous ne fûtes plus belle.

— Des mots, des mots, des mots, comme dit Shakspeare. Je suis si belle que vous ne daignez pas me regarder. »