Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/239

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campagnarde qui n’a plus la moindre élégance. Je vous rends votre parole : vous pourrez épouser mon amie miss Sarah Templeton, qui mange des pickles et boit du vinaigre pour être mince ! »

Cette imagination la fit rire de ce rire argentin et clair de la jeunesse. Le commodore et Paul s’associèrent franchement à son hilarité.

Quand la dernière fusée de sa gaieté nerveuse se fut éteinte, elle vint à d’Aspremont, le prit par la main, le conduisit au piano placé à l’angle de la terrasse, et lui dit en ouvrant un cahier de musique sur le pupitre :

« Mon ami, vous n’êtes pas en train de causer aujourd’hui et, « ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le chante » ; vous allez donc faire votre partie dans ce duettino, dont l’accompagnement n’est pas difficile : ce ne sont presque que des accords plaqués. »

Paul s’assit sur le tabouret, miss Alicia se mit debout près de lui, de manière à pouvoir suivre le chant sur la partition. Le commodore renversa sa tête, allongea ses jambes et prit une pose de béatitude anticipée, car il avait des prétentions au dilettantisme et affirmait adorer la musique ; mais dès la sixième mesure il s’endormait du sommeil des justes, sommeil qu’il s’obstinait, malgré les railleries de sa nièce, à appeler une extase, — quoiqu’il lui arrivât quelquefois de ronfler, symptôme médiocrement extatique.

Le duettino était une vive et légère mélodie,