Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/297

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C’était Alicia allongée sur sa couche funèbre.

« Morte ! s’écria Paul avec un râle étranglé ! morte ! et c’est moi qui l’ai tuée ! »

Le commodore, glacé d’horreur, avait vu ce fantôme aux yeux éteints entrer en chancelant, errer au hasard et se heurter au lit de mort de sa nièce : il avait tout compris. La grandeur de ce sacrifice inutile fit jaillir deux larmes des yeux rougis du vieillard, qui croyait bien ne plus pouvoir pleurer.

Paul se précipita à genoux près du lit et couvrit de baisers la main glacée d’Alicia ; les sanglots secouaient son corps par saccades convulsives. Sa douleur attendrit même la féroce Vicè, qui se tenait silencieuse et sombre contre la muraille, veillant le dernier sommeil de sa maîtresse.

Quand ces adieux muets furent terminés, M. d’Aspremont se releva et se dirigea vers la porte, roide, tout d’une pièce, comme un automate mû par des ressorts ; ses yeux ouverts et fixes, aux prunelles atones, avaient une expression surnaturelle : quoique aveugles, on aurait dit qu’ils voyaient. Il traversa le jardin d’un pas lourd comme celui des apparitions de marbre, sortit dans la campagne et marcha devant lui, dérangeant les pierres du pied, trébuchant quelquefois, prêtant l’oreille comme pour saisir un bruit dans le lointain, mais avançant toujours.

La grande voix de la mer résonnait de plus