Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/31

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un grand chapeau de paille de riz, orné de longs rubans noirs pareils à celui de la robe, et gisait une paire de gants de Suède qui n’avaient pas été mis. À mon aspect, Prascovie ferma le livre qu’elle lisait ― les poésies de Mickiewicz ― et me fit un petit signe de tête bienveillant ; elle était seule, ― circonstance favorable et rare. ― Je m’assis en face d’elle sur le siège qu’elle me désigna. Un de ces silences, pénibles quand ils se prolongent, régna quelques minutes entre nous. Je ne trouvais à mon service aucune de ces banalités de la conversation ; ma tête s’embarrassait, des vagues de flammes me montaient du cœur aux yeux, et mon amour me criait : « Ne perds pas cette occasion suprême. »

« J’ignore ce que j’eusse fait, si la comtesse, devinant la cause de mon trouble, ne se fût redressée à demi en tendant vers moi sa belle main, comme pour me fermer la bouche.

— « Ne dites pas un mot, Octave ; vous m’aimez, je le sais, je le sens, je le crois ; je ne vous en veux point, car l’amour est involontaire. D’autres femmes plus sévères se montreraient offensées ; moi, je vous plains, car je ne puis vous aimer, et c’est une tristesse pour moi d’être votre malheur. ― Je regrette que vous m’ayez rencontrée, et maudis le caprice qui m’a fait quitter Venise pour Florence. J’espérais d’abord que ma froideur persistante vous lasserait et vous éloignerait ; mais le vrai amour, dont je vois