Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/357

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donc, si vous ne dormez pas, un de ces beaux contes que vous savez. »

― Enchanté de vous voir, quoique la visite soit un peu fantastique ; mais qui me procure cet insigne honneur de recevoir chez moi, pauvre poète, la sultane Scheherazade et sa sœur Dinarzarde ?

― À force de conter, je suis arrivée au bout de mon rouleau ; j’ai dit tout ce que je savais. J’ai épuisé le monde de la féerie ; les goules, les djinns, les magiciens et les magiciennes m’ont été d’un grand secours, mais tout s’use, même l’impossible ; le très glorieux sultan, ombre du padischah, lumière des lumières, lune et soleil de l’Empire du milieu, commence à bâiller terriblement et tourmente la poignée de son sabre ; ce matin, j’ai raconté ma dernière histoire, et mon sublime seigneur a daigné ne pas me faire couper la tête encore ; au moyen du tapis magique des quatre Facardins, je suis venue ici en toute hâte chercher un conte, une histoire, une nouvelle, car il faut que demain matin, à l’appel accoutumé de ma sœur Dinarzarde, je dise quelque chose au grand Schahriar, l’arbitre de mes destinées ; cet imbécile de Galland a trompé l’univers en affirmant qu’après la mille et unième nuit le sultan, rassasié d’histoires, m’avait fait grâce ; cela n’est pas vrai : il est plus affamé de contes que jamais, et sa curiosité seule peut faire contre-poids à sa cruauté.