Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/358

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― Votre sultan Schahriar, ma pauvre Scheherazade, ressemble terriblement à notre public ; si nous cessons un jour de l’amuser, il ne nous coupe pas la tête, il nous oublie, ce qui n’est guère moins féroce. Votre sort me touche, mais qu’y puis-je faire ?

― Vous devez avoir quelque feuilleton, quelque nouvelle en portefeuille, donnez-le-moi.

― Que demandez-vous, charmante sultane ? je n’ai rien de fait, je ne travaille que par la plus extrême famine, car, ainsi que l’a dit Perse, fames facit poetridas picas. J’ai encore de quoi dîner trois jours ; allez trouver Karr, si vous pouvez parvenir à lui à travers les essaims des guêpes qui bruissent et battent de l’aile autour de sa porte et contre ses vitres ; il a le cœur plein de délicieux romans d’amour, qu’il vous dira entre une leçon de boxe et une fanfare de cor de chasse ; attendez Jules Janin au détour de quelque colonne de feuilleton, et, tout en marchant, il vous improvisera une histoire comme jamais le sultan n’en a entendu. »

La pauvre Scheherazade leva vers le plafond ses longues paupières teintes de henné avec un regard si doux, si lustré, si onctueux et si suppliant, que je me sentis attendri et que je pris une grande résolution.

« J’avais une espèce de sujet dont je voulais faire un feuilleton ; je vais vous le dicter, vous le traduirez en arabe en y ajoutant les brode-