Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/360

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se sentait nullement d’humeur à prendre femme.

Mahmoud-Ben-Ahmed avait reçu une bonne éducation : il lisait couramment dans les livres les plus anciens, possédait une belle écriture, savait par cœur les versets du Coran, les remarques des commentateurs, et eût récité sans se tromper d’un vers les Moallacats des fameux poètes affichés aux portes des mosquées ; il était un peu poète lui-même et composait volontiers des vers assonants et rimés, qu’il déclamait sur des airs de sa façon avec beaucoup de grâce et de charme.

À force de fumer son narghilé et de rêver à la fraîcheur du soir sur les dalles de marbre de sa terrasse, la tête de Mahmoud-Ben-Ahmed s’était un peu exaltée : il avait formé le projet d’être l’amant d’une péri ou tout au moins d’une princesse du sang royal. Voilà le motif secret qui lui faisait recevoir avec tant d’indifférence les propositions de mariage et refuser les offres des marchands d’esclaves. La seule compagnie qu’il pût supporter était celle de son cousin Abdul-Malek, jeune homme doux et timide qui semblait partager la modestie de ses goûts.

Un jour, Mahmoud-Ben-Ahmed se rendait au bazar pour acheter quelques flacons d’atargul et autres drogueries de Constantinople, dont il avait besoin. Il rencontra, dans une rue fort étroite, une litière fermée par des rideaux de velours incarnadin, portée par deux mules blanches et précédée de zebecs et de chiaoux riche-