Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/49

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figures monstrueuses me disaient dans leur langue de pierre : « Nous ne sommes que des formes, c’est l’esprit qui agite la masse. »

« Un prêtre du temple de Tirounamalay, à qui je fis part de l’idée qui me préoccupait, m’indiqua, comme parvenu au plus haut degré de sublimité, un pénitent qui habitait une des grottes de l’île d’Éléphanta. Je le trouvai, adossé au mur de la caverne, enveloppé d’un bout de sparterie, les genoux au menton, les doigts croisés sur les jambes, dans un état d’immobilité absolue ; ses prunelles retournées ne laissaient voir que le blanc, ses lèvres bridaient sur ses dents déchaussées ; sa peau, tannée par une incroyable maigreur, adhérait aux pommettes ; ses cheveux, rejetés en arrière, pendaient par mèches roides comme des filaments de plantes du sourcil d’une roche ; sa barbe s’était divisée en deux flots qui touchaient presque terre, et ses ongles se recourbaient en serres d’aigle.

« Le soleil l’avait desséché et noirci de façon à donner à sa peau d’Indien, naturellement brune, l’apparence du basalte ; ainsi posé, il ressemblait de forme et de couleur à un vase canopique. Au premier aspect, je le crus mort. Je secouai ses bras comme ankylosés par une roideur cataleptique, je lui criai à l’oreille de ma voix la plus forte les paroles sacramentelles qui devaient me révéler à lui comme initié ; il ne tressaillit pas, ses paupières restèrent immo-