Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/494

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Singulièrement intrigué, j’allai droit à la glace, et je vis que l’avertissement n’était pas faux.

On m’aurait pris pour une idole hindoue ou javanaise : mon front s’était haussé ; mon nez, allongé en trompe, se recourbait sur ma poitrine ; mes oreilles balayaient mes épaules, et, pour surcroît de désagrément, j’étais couleur d’indigo, comme Shiva, le dieu bleu.

Exaspéré de fureur, je me mis à poursuivre Daucus-Carota, qui sautait et glapissait, et donnait tous les signes d’une terreur extrême ; je parvins à l’attraper, et je le cognai si violemment sur le bord de la table qu’il finit par me rendre ma tête, qu’il avait enveloppée dans son mouchoir.

Content de cette victoire, j’allai reprendre ma place sur le canapé ; mais la même petite voix inconnue me dit :

« Prends garde à toi, tu es entouré d’ennemis ; les puissances invisibles cherchent à t’attirer et à te retenir. Tu es prisonnier ici : essaye de sortir, et tu verras. »

Un voile se déchira dans mon esprit, et il devint clair pour moi que les membres du club n’étaient autres que des cabbalistes et des magiciens qui voulaient m’entraîner à ma perte.